Don Winslow – L’hiver de Frankie Machine


Bienvenue à Ocean Beach, Californie, plaisante bourgade du sud-ouest de la Californie, légèrement à l’ouest de San Diego. Ocean Beach Pier est la plus grande jetée de Californie, paradis des pêcheurs, des glandeurs, des surfeurs. Et de Frank Machianno.

Bien sûr, ici aussi les temps ont changé : l’âge d’or des sixties n’est plus qu’un lointain souvenir, quand la côte de San Diego était un paradis encore dépeuplé et sous-développé, le flower power des années 60, les mouvements hippies pacifistes et peace and love, le partage, la non-violence ont laissé la place à des communautés plus à cheval sur leurs pré-carrés mais bon, le monde peut bien s’écrouler tant qu’il reste les rouleaux, le soleil, les longboards et ta mère (non, pas ta mère en fait…)

Bref. Voici donc Frank Machianno. C’est une figure locale dans le secteur. Sexagénaire grand et costaud, hâlé juste ce qu’il faut, Frank inspire le respect et n’a pour ainsi dire que des amis alentour. Il faut dire que le bonhomme est plutôt du genre à payer de sa personne, quitte à se démultiplier pour pouvoir boucler ses journées dans les temps : propriétaire d’une petite boutique d’appâts, il gère en outre un petit service de linge de table auprès des restaurants et hôtels de la côte, un parc de co-propriétés. Et accessoirement, une ex-épouse encore très présente, une petite amie et sa grande fille qui va bientôt entamer ses études de médecine. Frank, un type globalement bien occupé mais très heureux comme ça grâce à une organisation au cordeau…

Quand on se fixe une routine, on peut toujours y déroger quand un problème se présente. Mais si on ne s’en fixe pas, alors tout ce qui se présente devient un nouveau problème.

Et fatalement, un nouveau problème se présente. A fort potentiel. Du genre de ceux qui peuvent aisément faire voler en éclats les plus solides ordonnancements, les voeux les plus sincères de rédemption. C’est aussi et surtout l’occasion de faire connaissance avec un autre Frank Machianno, tout aussi méthodique dans un tout autre style : légèrement moins porté sur l’altruisme et le respect de la vie humaine que ne l’est le paisible vendeur d’appâts d’Ocean Beach Pier. Accessoirement connu sous le sobriquet de « Frankie Machine », rapport à des statistiques hors-normes en matière de réalisme à l’heure de transformer en macchabée tout se qui se trouve dans sa zone de tir.

Ce putain de Frankie Machine, une légende vivante.

Une légende qu’il aurait bien laissé ad vitam là où elle se trouvait depuis pas mal d’années : dans la petite boutique des souvenirs. Mais quand le fils d’un boss de L.A se présente un soir pour solliciter « à titre exceptionnel » ses talents de négociateur, le tout assorti d’un persuasif défraiement, rien à faire : il faut ré-endosser l’habit de lumière. Une dernière fois.

Sauf qu’il va falloir le garder sur soi un peu plus de temps que prévu. Parce que l’affaire tourne mal et que derrière la petite négociation initialement prévue, c’est un tout autre objectif qui se dessine : il faut tuer Frankie Machine.

Une centaine de pages viennent de défiler et c’est une toute autre histoire qui commence pour les 400 à venir. Une chasse à l’homme dans laquelle le gibier n’a pas vraiment l’intention de se terrer en se croisant les doigts : trop d’intérêts sont en jeu, trop de questions en suspend et corollairement, pas mal de pertes collatérales potentielles impliquées dans l’histoire : ex-femme, fille, petite amie… Vite mettre tout le monde à l’abri et remonter à la source des problèmes afin de comprendre ce qui se trâme et, si possible, sauver sa peau.

Commence alors une impitoyable course poursuite sur fond de flash back dans le passé d’un Frank mû par son instinct de survie et le besoin de comprendre, se demandant ce qu’il a bien pu faire pour mériter ce qui lui arrive. Lui, le loyal et méthodique Frankie Machine. Sa droiture, son éthique, son formidable talent pour tuer des gens, maintes fois mis à contribution sans jamais le moindre accroc… Pensait-il.

Bien sûr c’est (très) violent, il y a du sang sur les murs et quelques morceaux de cervelles disséminées ça et là. Mais l’humour est bien présent aussi à travers des dialogues qui évitent les clichés standards des histoires de mafia, comme si Don Winslow voulait nous interpeller sur le fait qu’on est ici dans la « vraie vie » et pas dans un film de genre. Frank remonte le temps et retrouve d’anciens collègues, solde quelques vieilles dettes en passant dans le cadre d’une histoire où les chapitres, courts, se succèdent à un rythme soutenu jusqu’au « morceau de bravoure » du 49ème, chapitre-levier d’une cinquantaine de pages qui se consomme comme un plan séquence de palmesque et dont on s’extrait avec l’envie de dire : « Chapeau Winslow ! »

Quant à moi, je m’arrête ici en vous garantissant que les 130 pages restantes se tournent toutes seules tant le rythme et le sens de la phrase de Don Winslow font merveilles dans ce polar. C’était mon premier Winslow et deux autres opus sont déjà au programme (« La patrouile de l’aube » et « Savages ») tant j’ai envie de m’immerger dans l’univers de cet auteur et de faire encore un bout de route avec lui : sur l’US 101, entre San Diego et Santa Cruz (territoire de prédilection du bonhomme) par exemple…

« L’hiver de Frankie Machine », Don Winslow – Livre de poche (505 pages), paru en 2006

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